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Publié par Carole ALAUX (1992)
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Auteurs

Katia Picaud-Bello : Professeure associée & Responsable du Master Achats et Supply Chain Management - ESSCA School of Management

Hervé Legenvre : Directeur de la recherche & Responsable de programme - European Institute of Purchasing Management

 

La fonction achats occupe aujourd’hui une position centrale dans la transformation des chaînes d’approvisionnement vers des modèles plus circulaires. S'appuyant sur des recherches récentes menées dans le secteur manufacturier, cet article met en lumière les nouvelles responsabilités des professionnels des achats, les principaux défis auxquels ils sont confrontés et les compétences clés nécessaires pour faire évoluer les pratiques vers une économie plus durable. Il souligne également l’importance d’une collaboration renforcée entre les fonctions et d’un partage fluide des données pour ancrer la durabilité dans l’ensemble de la chaîne de valeur.

 

Un contexte mondial en pleine mutation

 

La pression sur les ressources naturelles ne cesse de croître. Selon l’OCDE, la consommation mondiale de matières premières devrait presque doubler d’ici 2060, passant de 89 gigatonnes en 2017 à 167 gigatonnes. 

OECD (2019), Global Material Resources Outlook to 2060: Economic Drivers and Environmental Consequences, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264307452-en.

 

Parallèlement, la Banque mondiale prévoit une hausse de 70 % des déchets générés chaque année à l’horizon 2050.

Kaza, Silpa, Lisa Yao, Perinaz Bhada-Tata, and Frank Van Woerden. 2018. “What a Waste 2.0: A Global Snapshot of Solid Waste Management to 2050.” Overview booklet. World Bank, Washington, DC. License: Creative Commons Attribution CC BY 3.0 IGO.

 

Face à ce constat, l’Union européenne a engagé une stratégie de diversification des sources d’approvisionnement, de promotion des circuits courts et de décarbonisation des chaînes d'approvisionnement industrielles. Cette démarche repose sur le renforcement de l’approvisionnement local et la recherche d’alternatives durables aux matières premières critiques, tout en intégrant pleinement les objectifs de décarbonation dans l’ensemble du processus.

Cela implique, entre autres, de privilégier les matériaux recyclés — issus d’un marché encore émergent et peu structuré et d’établir de nouvelles relations avec des fournisseurs spécialisés.  Le service achats est ainsi appelé à se transformer, tant dans son organisation que dans ses pratiques, pour répondre à ces nouveaux enjeux.

 

Intégrer l’économie circulaire dans la fonction achats : quels enjeux ?

 

L’économie circulaire repose sur une logique de réduction des déchets et de valorisation des ressources tout au long de leur cycle de vie. Elle rompt avec le modèle linéaire traditionnel « extraire, produire, consommer, jeter » en mettant l’accent sur le « réduire, réutiliser, recycler ».

 

Les dernières études montrent que réussir cette transition nécessite d’intégrer la durabilité dès la conception du produit, plutôt que de gérer les déchets en fin de processus.

 

Cette approche écologique dans le développement de nouveaux produits doit viser à minimiser l'impact environnemental tout au long du cycle de vie et à encourager l'adoption de changements dans les systèmes d'approvisionnement traditionnels, tels que l’établissement de nouvelles relations avec des fournisseurs issus de marchés alternatifs ou d'autres secteurs en dehors du système d'approvisionnement traditionnel.

 

Une étude menée auprès de cinq entreprises industrielles a permis d’identifier les principaux leviers d’action du service achats dans ce contexte de transformation circulaire.

 

Quatre contributions clés de la fonction achats à l’économie circulaire

Le service achats contribue actuellement de quatre manières différentes à la mise en place de modèles circulaires :

1. Sourcer des matières premières sur les marchés secondaires

Dans un contexte de rareté, de concurrence croissante et de coûts souvent élevés, les acheteurs doivent désormais identifier des matériaux recyclés de qualité. Cela nécessite une étroite collaboration avec les équipes de design pour s'assurer que ces matériaux répondent aux exigences techniques et environnementales.

Cette collaboration est d’autant plus importante que la conception des produits elle-même a évolué, passant d'une approche purement esthétique et fonctionnelle à l'intégration de la dimension environnementale.

Ce changement implique de trouver de nouveaux matériaux, comme par exemple des composants recyclés, qui soient à la fois techniquement adaptés et de qualité, afin de faciliter le développement de produits recyclables.

Cela implique aussi de repenser les objectifs stratégiques de la fonction achats, comme l’illustre ce témoignage recueilli dans le cadre de l’étude :

« Notre objectif est d’utiliser des matériaux recyclés autant que possible. Si cela n’est pas possible, nous privilégions les alternatives d’origine biologique. »

 

2. Fournir des informations techniques sur les matériaux recyclés

Le service achats occupe une position centrale entre les équipes techniques, les fournisseurs et les autres parties prenantes de l’entreprise. Il joue un rôle essentiel dans la centralisation et la circulation des informations liées aux matériaux recyclés, notamment concernant les besoins, les caractéristiques techniques, la traçabilité et l'impact environnemental.

 

Cette mission suppose une collaboration étroite entre les différentes unités de l’entreprise pour faciliter le partage des données sur le cycle de vie des produits et les propriétés des matériaux requis. Dans les faits, les équipes achats coordonnent les échanges avec la chaîne d’approvisionnement, notamment en sollicitant :

·        des données d’analyse du cycle de vie (ACV),

·        des certificats de recyclabilité ou de circularité des matériaux,

·        ainsi que toute autre information permettant de garantir leur traçabilité.

 

Cependant, des difficultés apparaissent fréquemment : certains fournisseurs peuvent se montrer réticents à partager des données sensibles, ou des incohérences dans les informations transmises peuvent survenir. Ces situations complexifient la gestion des projets et peuvent générer des tensions dans la relation avec les fournisseurs.

Notre étude met en évidence la nécessité d'une gestion formelle et proactive des relations fournisseurs, fondée sur des échanges transparents, structurés et complets. Au-delà de la simple collecte d’informations, il est essentiel de former et de sensibiliser les fournisseurs à l’importance du partage de données techniques sur les matériaux recyclés et à la gestion de leurs déchets. Cet effort est essentiel pour soutenir la conception de produits circulaires et favoriser leur recyclage à l'issue de leur cycle de vie.

Dans ce contexte, le service achats joue un rôle déterminant dans la mise en place d'un système structuré d'échange d'informations sur les matières premières et leur gestion en fin de cycle. Cela permet d’assurer l’accès à des données fiables pour concevoir des produits plus durables.

 

3. Garantir la transparence, la fiabilité et la qualité des données fournisseurs

Dans une chaîne de valeur circulaire, la qualité des décisions en matière de conception et d’achats dépend directement de la fiabilité, de la transparence et de la standardisation des données échangées entre acteurs. Pourtant, l’absence de référentiels industriels communs, notamment pour les taux de recyclage ou les analyses de cycle de vie (ACV), freine la collaboration et limite l’optimisation des produits selon des critères de durabilité.

Par exemple, dans notre étude, les équipes de conception technique ont souligné qu’il est difficile d’optimiser les produits dans une logique circulaire, car il n’existe pas de critères universels pour mesurer la durabilité des matériaux.

Face à ce constat, certaines entreprises ont expérimenté avec succès des modèles pilotes de collaboration, fondés sur des outils standardisés d’échange de données. Ces démarches ont permis de renforcer l’alignement entre les équipes achats, conception et développement durable, et d’améliorer la prise de décision en matière de circularité.

Dans cette dynamique, des plateformes d’intégration des données émergent, à l’image de Catena-X dans l’automobile, ou d’initiatives similaires dans les secteurs automobile et agricole. Leur objectif : renforcer la collaboration entre les équipes chargées de l’approvisionnement, de la conception et du développement durable.

 

4. Mise en place de nouvelles coopérations en dehors de la chaîne d'approvisionnement traditionnelle

La montée en puissance des modèles circulaires entraîne l’émergence de partenariats inédits, notamment avec les acteurs de la collecte et du traitement des déchets. Ces collaborations visent à sécuriser les flux de matériaux recyclés et à garantir leur traçabilité.

 

Notre étude met en lumière ces collaborations naissantes avec des organisations spécialisées dans la collecte et le traitement des déchets, qui soutiennent les fournisseurs secondaires en garantissant des approvisionnements réguliers en matériaux recyclés.

L’étude montre également que pour tirer pleinement parti de l’approvisionnement circulaire, une collaboration étroite entre tous les maillons de la chaîne de valeur est indispensable. Les fournisseurs de matériaux, les fabricants et les entreprises de recyclage doivent travailler ensemble, notamment avec les fournisseurs de matériaux critiques, afin de construire des modèles d’économie circulaire ambitieux.

 

La fonction achats, en se positionnant comme catalyseur de ces synergies, peut jouer un rôle moteur dans cette dynamique.

 

Deux grands défis à relever pour la fonction achats

 

Instaurer des normes communes pour encadrer les données sur les matériaux circulaires

Pour opérer efficacement, les acheteurs ont besoin de données structurées et comparables sur les matériaux recyclés. Or, les fiches techniques actuelles sont souvent incomplètes, n’indiquant par exemple pas par exemple le pourcentage de matière recyclée.

 

Cette absence de référentiel oblige les entreprises à multiplier les tests et à engager des processus d’évaluation lourds. La création de standards reconnus pour mesurer la circularité des matériaux constitue donc un enjeu prioritaire.

 

Développer les compétences des professionnels des achats en innovation et durabilité

L'essor de l'économie circulaire transforme en profondeur les métiers des achats. Identifier des fournisseurs non conventionnels, gérer des partenariats complexes ou maîtriser les enjeux techniques et réglementaires liés aux matériaux sont autant de missions qui exigent de nouvelles compétences, à la croisée de l’innovation, de la RSE et du management de projet.

 

Il ne fait aucun doute qu'un responsable des achats qui développe des compétences à la fois dans le domaine de l'innovation et dans celui de la durabilité sera en mesure de répondre aux exigences des services internes de l'entreprise en matière de conception technique, de recherche, de développement de produits ou de production, qui dépendent de la coopération avec les fournisseurs pour répondre aux exigences d'un modèle d'économie circulaire.

 

Pour répondre à ces attentes, les entreprises doivent revoir leurs critères de recrutement et investir dans la formation continue. Le service achats a désormais besoin de profils capables de piloter des projets de transformation en lien avec les objectifs de durabilité de l’entreprise.

 

Ce qu’il faut retenir

La transition vers des chaînes d’approvisionnement circulaires ne relève plus d’une option, mais d’un impératif stratégique. Dans un contexte de pression géopolitique et environnementale, la capacité à sourcer des matériaux secondaires de manière fiable, à sécuriser les flux et à créer de nouvelles alliances devient un levier clé de résilience et de compétitivité des entreprises européennes.

Les directions achats ont un rôle déterminant à jouer : en diversifiant les sources d’approvisionnement, en structurant le partage d’informations techniques, et en renforçant la coopération avec des partenaires internes et externes, elles peuvent accélérer la transformation vers des modèles économiques plus durables.

 

Références

Siltaloppi, J. y Jähi, M. (2021). “Toward a sustainable plastics value chain: Core conundrums and emerging solution mechanisms for a systemic transition”. Journal of Cleaner Production, 315. 

Picaud-Bello, K., Johnsen, T., Calvi, R. y Giannakis, M. (2019). “Exploring early purchasing involvement in discontinuous innovation: A dynamic capability perspective”. Journal of Purchasing and Supply Management, 25 (4).

Goyal, S., Chauhan, S. y Mishra, P. (2021). “Circular economy research: A bibliometric analysis (2000-2019) and future research insights”. Journal of Cleaner Production, 287.

Kowsari, E., Ramakrishna, S., Gheibi, M. y Chinnappan, A. (2023). “Marine plastics, circular economy, and artificial intelligence: A comprehensive review of challenges, solutions, and policies”. Journal of Environmental Management, 345.

Legenvre, H. y Hameri, A. P. (2024). “The emergence of data sharing along complex supply chains”. International Journal of Operations & Production Management, 44 (1).

Picaud-Bello, K., Schiele, H., Koch, V. y Francillette, M. (2024). “Innovation through sustainability: Identifying purchaser skills fostering green innovation”. Cleaner Logistics and Supply Chain, 10

 




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